Publié le 30 novembre 2020

Durant le confinement, les artistes continuent de venir créer à la maison Folie. On est donc allés à la rencontre de la metteuse en scène Marie Filippi, qui nous en dit plus sur son spectacle Une histoire pop. Les premières représentations devaient avoir lieu chez nous les 5 & 6 décembre. Ce n'est que partie remise et on aura l'immense joie de partager le spectacle avec vous en février 2021.

Tu crées quoi en ce moment ?

Je travaille sur un essai qui s’appelle Une histoire populaire des Etats-Unis, d’Howard Zinn, un historien américain. C’est un projet qui m’a complètement englobée. Cet essai puissant raconte l’histoire des Etats-Unis comme on ne l’apprend pas en cours, la grande histoire au travers du regard de gens qui ont subi les politiques et ne les ont pas décidées. Comme si on voyait l’envers du décor. C’est un livre-fleuve qui part de 1492 pour arriver jusque dans les années 1980, avec un post-scriptum écrit en 2001, après les attentats du World Trade Center. On dit souvent que chacun a son point de vue, et c’est valable aussi pour les événements qu’on appelle historiques. Le grand H et le petit h se rejoignent.

Je travaille à ce spectacle avec quatre acteurs qui sont également créateurs et auteurs avec moi. Le but n’est pas de résumer le livre en une pièce de théâtre, mais de le transmettre d’une autre manière. Finalement c’est notre point de vue, sur un point de vue de l’histoire, et c’est un peu ces poupées russes que je me suis passionnée à co-écrire avec les acteurs.

 

Pourquoi tu t’intéresses aux Etats-Unis ?

Il y a une première entrée qui est intime, car mon père est né aux Etats-Unis. J’ai un attachement à ce pays par des bribes, au lointain. Et puis j’ai compris que l’engagement de mon père, qui est un militant politique, était né là-bas. Pour moi les Etats-Unis étaient un pays de rêve, de comédie musicale, mais pas forcément générateur de positionnement politique ; là où en France on a tendance à penser qu’on a la valeur de la lutte en nous. Je me suis rendu compte en lisant Howard Zinn et en comprenant des choses de l’histoire de mon père que la lutte américaine civique, sociale, existait très fort. Ça c’est la petite porte.

La grande porte, c’est notre lien plus général à cette nation. Comment ça se fait qu’on suit les élections américaines comme si on votait nous-mêmes aux États-Unis ? On sait aujourd’hui que si le peuple américain travaillait à un changement monumental, il aurait le pouvoir de renverser une politique mondiale. 

On se voit à travers leur miroir. C’est pour ça qu’il nous importait de partir du début : qu’est-ce que c’est, des conquérants européens qui arrivent avec leurs valeurs, comme si c’était une terre vierge, et qui imposent un schéma basé sur la propriété privée, qui vient déraciner tout un peuple qui fonctionnait différemment.

 

Quelle est la forme du spectacle ?

Ce sont quatre scénaristes qui à chaque fois tentent de faire le meilleur film à partir de ce livre, comme s’ils avaient une commande de l’impossible : essayer de toujours chercher une forme de vérité. Evidemment cela renvoie au cinéma, sujet de fantasme à propos des Etats-Unis, avec ces dizaines de scénaristes réunis autour d’une table pour écrire des séries interminables. Ça permet de voir des êtres humains se parler, et tenter de comprendre s’ils retirent la même chose d’un livre. 

Une histoire pop © Marie Filippi

Que venez-vous travailler à la maison Folie Wazemmes ?

Notre spectacle s’inspire de l’idée d’une série. Là c’est l’aboutissement de nos quatre épisodes. L’écriture est là, c’est une écriture de plateau, d’improvisation, qu’on a retapée et réécrite. Maintenant il s’agit de trouver la globalité de ce spectacle dans les deux semaines qui nous restent, en le filant, en comprenant l’objet total.

 

Une lecture forte ?

En ce moment je lis énormément de presse, je m’évade peu dans la fiction ; ça ne veut pas dire que je n’ai pas un esprit qui cultive l’imaginaire mais j’épluche la presse. C’est une période. J’ai été très prise dans la lecture de la revue America, qui a décidé de tracer l’histoire des quatre ans de pouvoir de Trump aux Etats-Unis, et d’interroger les artistes, les auteurs, pour voir comment ils traversaient cela. Il y a de grandes interviews, dont une de Patti Smith qui est incroyable. L’élection de Trump a redéclenché mon envie de parler de ce pays.

 

Autoportrait © Marie Filippi

Qu’est-ce que tu écoutes ?

J’écoute deux types de choses en ce moment. Beaucoup de musique folk, liée à l’histoire des Etats-Unis et des années 1960, les protest songs, Joan Baez, Bob Dylan, ou de manière plus moderne Bruce Springsteen. Et d’une toute autre manière, des compositeurs comme Johan Johansson, Max Richter, Olafur Arnalds... Je travaille l’écriture et l’imaginaire de mon spectacle plutôt avec ce genre de musique.

It's All Over Now Baby Blue de Bob Dylan par Joan Baez

For the last de Other Lives

The ghost of Tom Joad de Bruce Springsteen

Trois morceaux à écouter

Ton remède à la mélancolie ?

J’ai envie de dire « quelle mélancolie ? » Car il y en a de plein de types. Il faut se l’avouer, on est dans une période où il y  a de la brutalité et de l’instabilité ; et c’est peut-être tout le temps comme ça d’ailleurs. Les mélancolies sociales et les mélancolies intimes se mélangent parfois… Mes remèdes : regarder le ciel, longtemps. La musique, aussi. Prendre un temps long pour parler avec des gens. Pas uniquement se confier, mais rêver d’un monde ensemble et sentir une connexion humaine. Je pense que c’est pour ça que je fais du spectacle vivant, et c’est ce qui manque cruellement en ce moment. Et fabriquer des choses avec mes mains, aussi, pour s’élever vers des choses simples.

 

Le mot de la fin

On a envie de communion ! Ce n’est pas une question de religieux mais l’idée de discuter avec des gens. Ça fait des mois qu’on prépare quelque chose et on a envie de le montrer en simplicité. Comme une matière à réfléchir, à discuter et possiblement à refaire le monde. Ce n’est que ça, en fait, le spectacle : un moment de partage. C’est ce qu’on recherche très fort. On a hâte de voir le public et de partager cela au mois de février !

 

Rendez-vous les 20 et 21 février pour découvrir le spectacle Une histoire pop, de la Cie L'ouvrier du drame, à la maison Folie Wazemmes.